Jour de deuil en Algérie

Publié le par E&R-Ile de France


Le peuple algérien est convié à se rendre aux urnes aujourd’hui pour « élire » un président qui s’est assuré une victoire sans risques. C’est une évidence pour l’écrasante majorité aussi bien des Algériens que des observateurs étrangers : le résultat de l’élection présidentielle du 9 avril prochain ne fait pas de doute. Bouteflika et ses sponsors se sont assuré une victoire sans risques et sans surprises. Sans risque démocratique, sans risque de voir l’urne révéler le nom de l’élu, comme cela se fait en démocratie au terme d’une campagne, d’une élection et d’un dépouillement honorables.





Les autres risques encourus par le pays et non plus par le seul régime - déroutes politique, économique et morale qui découlent des choix désastreux opérés par une oligarchie militaro-marchande déterminée à spolier le peuple algérien de ses droits et de ses richesses -, ces risques-là, Bouteflika et ceux qui l’ont adoubé aux commandes du pays ne les voient pas. Plus grave, ils s’en accommodent.


Bouteflika et ses sponsors militaires et milliardaires sont, il est vrai, encouragés dans cette voie par leurs partenaires internationaux. Ces derniers trouvent leur compte en faisant commerce avec un régime plus soucieux de faire plaisir à des réseaux d’affaires influents sur la scène internationale qu’à remplir ses obligations à l’égard de son peuple.


L’histoire moderne des Algériens est une succession de luttes contre toutes les multiples formes de la domination qui s’est imposée sous les visages successifs du colonialisme, de la dictature autoritariste et maintenant d’un despotisme de moins en moins soucieux de masquer sa nature. Une nature brutale qui transparaît dans l’outrance. Avec une débauche de moyens pour Bouteflika déguisé en « candidat » et en « indépendant », dans une partition jouée d’avance avec l’argent et les institutions de l’État mis au service d’un homme qui incarne la pérennité du système. Un système honni par les Algériens qui paient jour après jour le prix de cette longévité.


On le voit clairement pour cette élection avec la convocation du plus indigent des folklores en guise de liesse populaire et d’un encadrement administratif et policier de la population digne des pires républiques bananières. On le voit également dans le carnaval prétendument pluraliste qui sert de façade et qui ne tient lui-même que grâce aux milliards puisés dans les caisses du pays et distribués à une clientèle avide de prébendes.


Prise en étau entre pauvreté et répression, la société algérienne peine à résister à l’effondrement moral. Un simple coup d’œil sur les cinquante dernières années renseigne sur les souffrances endurées et les sacrifices consentis par un peuple dont la patience a rarement rencontré la sagesse chez ses oppresseurs.


Il est de bon ton, en ces jours sombres pour des pans entiers de l’humanité confrontés à la dureté des prédateurs économiques, politiques et militaires, de reprocher aux peuples la longévité des régimes qui les oppriment. Rappelons alors avec l’exemple de l’Algérie contemporaine à quel prix se maintiennent les prédateurs à la tête des nations et où ils les mènent. 200.000 morts, des milliers de disparus, des millions de déplacés et des milliards de dollars investis dans le seul « maquillage » du crime en tragédie. C’est le bilan de la seule décennie 90 et de sa « sale guerre » que Bouteflika est venu maquiller en « sale paix » depuis 1999. De même que Bouteflika a eu pour mission de maquiller la déroute politique et morale en « moindre mal » en martelant que la paix est de retour. Tandis que l’horreur, qui a diminué sur le terrain de la guerre sans pour autant disparaître, se redéploie en criminalité tous azimuts et en violence économique.

Ceci ne doit pas nous dédouaner, en tant qu’Algériens de toutes obédiences mais unis par un même souci de démocratie, de liberté et de justice, de faire nos bilans respectifs et d’assumer notre part de responsabilité dans la trop longue durée de chacun de ces épisodes de domination.

A la veille de ce énième viol du droit des Algériens à l’autodétermination, de ce énième viol des promesses de l’indépendance et de ce énième mensonge que sont ces élections présidentielles destinées à pérenniser un régime de prédation, il n’est pas inutile de rappeler que l’ordre mondial qui a permis à une oligarchie corrompue de trouver les alliances utiles à son maintien est en train de changer sous la pression de sociétés qui n’en peuvent plus des mensonges et de l’arrogance que cet ordre a portés et maintenus au mépris de toutes les avancées de l’Humanité.


Qu’on cesse alors de regarder les Algériens (ainsi que d’autres peuples de l’aire musulmane du reste) sous le seul prisme déformant de la lutte antiterroriste ou de la « menace islamiste. » Là où leurs droits sont piétinés, leur dignité bafouée, leurs vies réduites à un simulacre de survie végétative, tous les peuples du monde ont le droit et le devoir de résister à leurs oppresseurs.


Malgré le décor Potemkine dans lequel excelle ce régime qui ne craint par ailleurs ni le crime d’Etat ni le viol de toutes les lois qu’il promulgue lui-même, malgré la persistance de divergences sévères au sein de l’élite algérienne sur les voies et moyens d’en finir avec cette insupportable agonie, des voix, chaque jour plus nombreuses, plus précises, plus rigoureuses se joignent à la longue marche de la protestation algérienne pour lui faire emprunter les chemins du changement démocratique et pacifique.


Cette victoire si difficile, contre les atavismes de tous bords, les sectarismes, l’enfermement idéologique et la manipulation des divers clans du pouvoir ; cette victoire qui consisterait en une véritable construction démocratique, les Algériens ont compris qu’ils doivent d’abord la remporter sur eux-mêmes.

Cela, le pouvoir n’y pourra rien changer. Un cap a été franchi sur le chemin de la maturité politique. Tant au sein de l’élite que de la société.


Désormais, patriotisme ne rime plus avec soumission au régime mais avec changement ! Un changement que la société appelle de toutes ses forces et vers lequel nos énergies doivent converger.


Hocine Aït Ahmed


Source :
mecanopolis.org

Publié dans Politique

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