L'administration Obama est embarrassée par la question des droits de l'homme

Publié le par E&R-Ile de France

En matière de droits de l'homme, Barack Obama n'a pas eu droit à un état de grâce. Un mois après son entrée en fonctions, le président américain commence à être critiqué pour n'avoir pas encore répudié certaines pratiques antiterroristes contestables de son prédécesseur.



Alors qu'il s'apprête à délivrer, mardi 24 février, le traditionnel discours sur l'état de l'Union, M. Obama peut se prévaloir de l'adoption en temps record d'un vaste plan de relance de l'économie. Mais l'enthousiasme des défenseurs des droits de l'homme a fait place à la gêne.

"Il ne s'est pas encore engagé à rompre radicalement avec les politiques criminelles de l'administration Bush", explique au Monde Kenneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch (HRW). L'avocat reconnaît à M. Obama des "premiers pas positifs", tels que la promesse de fermer d'ici un an le centre de détention de Guantanamo, la fermeture du réseau de détention secret de la CIA ou l'abandon de techniques d'interrogatoire s'apparentant à la torture. "Bush a été un tel désastre qu'il y a beaucoup à faire", admet M. Roth. "Nous sommes prêts à lui donner du temps", d'autant plus que "les droits de l'homme ne sont pas sa seule préoccupation", poursuit-il, inquiet toutefois de premières décisions "troublantes".

Le choix de la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, d'occulter la question des droits de l'homme lors de sa récente visite en Chine, est "une énorme déception" et "une décision naïve", estime aussi M. Roth, pour qui Mme Clinton "a fait un cadeau à la Chine".


La Maison Blanche a également surpris, vendredi, en adhérant à l'argumentaire de l'administration Bush pour refuser d'accorder aux détenus de la base américaine de Bagram, en Afghanistan, les mêmes droits que ceux des prisonniers de Guantanamo. Quatre détenus, capturés hors de l'Afghanistan et emprisonnés sans procès depuis des années, réclamaient le droit de contester leur détention devant la justice américaine.
"L'administration Obama va-t-elle s'engager à ne pas envoyer de gens à Bagram au lieu de Guantanamo ?", s'interroge Kenneth Roth.


 

POURSUITE DES EXTRADITIONS


 

Les doutes avaient commencé plus tôt. Le 13 février, les très conservatrices pages éditoriales du Wall Street Journal se réjouissaient de ce que M. Obama ait "épousé" certaines des pratiques antiterroristes de son prédécesseur. "Le lobby anti-antiterrorisme perd un homme qu'il pensait être son allié le plus robuste", ironisait le journal. Le 17 février, Gabor Rona, directrice du droit international pour Human Rights First, écrivait, dans une revue juridique : "Pour certains fans du respect de la loi, le temps de porter des toasts est terminé." Le lendemain, le New York Times titrait que "La guerre contre le terrorisme d'Obama pourrait ressembler à celle de Bush".


Les défenseurs des droits de l'homme craignent surtout que l'administration Obama adhère à la doctrine de George Bush selon laquelle les Etats-Unis sont en conflit contre Al-Qaida, ce qui leur permet d'invoquer le droit de la guerre pour détenir sans procès, et de manière illimitée, tout ennemi capturé sur le champ de bataille du nouveau siècle : la planète. Au cours d'auditions de confirmation, le ministre de la justice de M. Obama, Eric Holder, et Elena Kagan, choisie pour le représenter devant les tribunaux, ont semblé abonder dans ce sens, estimant qu'un financier d'Al-Qaida capturé aux Philippines pouvait théoriquement être détenu sans procès.


La Maison Blanche de M. Obama a créé un groupe de travail qui se prononcera dans six mois sur les politiques de détention, et notamment sur le sort des quelque 245 détenus qui restent à Guantanamo Bay. Mais en attendant, elle n'a pas exclu de poursuivre l'extradition, hors de tout cadre juridique ("rendition"), de prisonniers de la CIA vers des pays tiers - il n'est toutefois plus question, comme durant les années Bush, de permettre leur transfert, à des fins d'interrogation, vers des Etats utilisant la torture.


 

"LA ROUTE SERA LONGUE"


 

Les organisations non gouvernementales (ONG) se sont par ailleurs indignées que l'administration Obama invoque, comme l'administration Bush, le "secret d'Etat" pour rejeter, le 9 février, l'action en justice de cinq anciens détenus kidnappés par la CIA et envoyés, avec l'aide d'une filière de Boeing (Jeppesen DataPlan), dans des pays où ils disent avoir été torturés. "Ce n'est pas cela le changement", a affirmé (en référence au slogan de campagne de M. Obama) Anthony Romero, directeur de l'ACLU, une organisation de défense des libertés civiles. "Si c'est un signe avant-coureur de ce qui nous attend, la route pour retrouver une Amérique dont nous pouvons être fiers sera longue et ardue", a-t-il ajouté dans un communiqué.


L'ACLU juge qu'un rapport du Pentagone, commandé par M. Obama et ayant conclu que la prison de Guantanamo est en conformité avec les conventions de Genève, n'est autre qu'un effort pour "blanchir" l'administration Bush. Une des plus "graves erreurs" du nouveau président est toutefois, selon Kenneth Roth, de refuser, pour l'heure, de lancer une enquête indépendante sur les actes de torture commis durant l'ère Bush. "Ce sont des crimes graves, il serait mal avisé de ne pas les punir simplement parce qu'ils ont été ordonnés aux plus hauts niveaux de l'administration", estime-t-il.


La lune de miel est-elle terminée ? "J'ai toujours vu Obama de façon réaliste", explique le directeur de HRW. "La présidence américaine, quel que soit l'occupant, est sujette dès le premier jour à toutes sortes de pressions pour ignorer les droits de l'homme. Nous ne pouvons pas nous permettre de retenir nos coups les premiers mois", ajoute M. Roth.


Dans le New York Times, le conseiller juridique de la Maison Blanche, Gregory Craig, a plaidé pour la patience et démenti toute similitude avec les politiques anti-terroristes de l'administration Bush. "Nous traçons une nouvelle voie, en prenant en considération à la fois la sécurité du peuple américain et le besoin de respecter la loi", a-t-il expliqué.




Source : lemonde.fr

Publié dans Politique

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